Baptiste Mélès
Jeudi 12 juin 2014 à 11h, salle 25-26/101
Comment les informaticiens inventent-ils des concepts ? L’informaticien a parfois l’image d’un bricoleur d’une nouvelle génération, dont les concepts, en compromission permanente avec les contingences de la matière, n’auraient pas la pureté de sciences plus nobles que seraient la logique ou les mathématiques. Telle est la conception que nous remettrons en cause. Le philosophe et résistant Jean Cavaillès (1903-1944) a proposé dans son ouvrage posthume Sur la Logique et la théorie de la science (1947) ce que l’on peut voir comme une grammaire de l’invention des concepts mathématiques, dont les deux procédés principaux s’appellent paradigme et thématisation. En nous appuyant sur l’histoire des concepts de fichier et de processus de CTSS à Unix, nous montrerons que l’on retrouve ces deux procédés, et peut-être plus encore, dans l’invention des concepts informatiques. L’invention de concepts informatiques serait dès lors aussi pure, d’un point de vue rationnel, que l’invention des concepts mathématiques. Ceci nous conduira à caractériser l’informatique comme une science a priori — c’est-à-dire indépendante de toute expérience — à part entière, et dont l’apport est irréductible à la logique et aux mathématiques : bien plutôt qu’une science a posteriori des ordinateurs, elle peut être vue comme la science a priori de l’inscription des processus rationnels dans la matière. Nous conclurons en montrant sur quelques exemples en quoi l’informatique déborde largement la science des ordinateurs.